ÉCRITS DE ROUTE

RÉCITS, PAMPHLETS, THÉORIE, PORTRAITS...

La larme contre le sabre - Origamis de la domination, 1

éthique, mesure, technique, domination, finitude, société de masse, pséphiotélie, émancipation, kirghizistan, mass media, violence, anthropologie, globalisation, matérialisme

(…) J’exposai un jour ma « règle de la mesure en vue d’une vie bonne »* à un polytechnicien, fleuron, s’il en est, de la société du calcul.

La règle, grossièrement résumée, supposait qu’on n’agisse et ne produise que dans la mesure de ses propres moyens : en possédant soi-même le savoir-faire requis pour la réalisation intégrale du produit (partant, la compréhension du fonctionnement de l’objet), ou en endossant la responsabilité des conséquences découlant de l’action (ce qui n’empêche pas l’acceptation d’un savoir partiel sur le monde dans son ensemble). Ceci jusque dans la fabrication des outils pour le faire et la récolte des ressources nécessaires, en collaboration éventuelle avec une communauté d’êtres dont chaque membre devait être personnellement connu (on estime à une centaine de personnes un groupe au sein duquel un humain puisse entretenir d’authentiques relations de connaissance) et appliquer la même règle**. (…)

Diogene dans la benne, les jours heureux.

Norvège, éthique, glanage, alternatives, éducation, ascèse, gouvernement de soi, anarchisme

(…) Ainsi m’aperçus-je que l’éthique risque bien de ne jamais pouvoir faire l’économie de la question triviale de l’alimentation : de sa nature, de son approvisionnement et de son stockage. Perspective plus étonnante encore, peut-être cette question en est-elle le fondement, que tout chercheur en bonheur individuel et commun se verra obligé d’examiner consciencieusement et en premier lieu. Le geste inaugural consistant, dans une critique toujours renouvelée de la démesure, à aller contre la conviction inébranlable qu’une bonne vie découlerait mécaniquement de l’assurance d’un ravitaillement dont on n’aurait plus à se soucier pour le plus longtemps possible. (…)

Croatie : Mission to Pag, mode d’emploi

croatie, mission, déconditionnement, exploration, no man's land, traversée, mode d'emploi

(…) – Partez depuis chez vous, avec vos pieds ou vos roues, pas en été, pas en avion, ni en navette spatiale, ça ne fonctionnerait pas, dormez dehors.
– Arrivez, après quelques semaines, quelques mois de voyage, en terres illyriennes, longez la côte escarpée, entre la mer Adriatique et le massif Velebit.
– Observez les monts noircis couronnés d’épais nuages, leurs sommets enneigés, depuis le littoral les rorquals minéraux assoupis dans les flots, parfois verts, bruns à l’occasion, par de rares et précieuses conditions gris-argents, continuez plein sud, quelques jours.
– Au lendemain d’une nuit de Bora glaciale et d’averses, juste après avoir fermé l’oeil, rouvrez-le, levez le camp, (…)

JUSQU’AU CAP NORD (Scherzo con moto)

Norvège, Cap Nord, répétition et différence, téléologie, phénoménologie du temps, performance, but, retroaction temporelle, boucle

(…) Ce moment vers lequel semblent rétrospectivement converger tous mes actes initiés depuis l’Asie Mineure, a l’intensité du mouvement qu’effectue le pianiste en concert, lorsqu’il lève dans le silence plein d’ombre d’une audience suspendue à son geste, un bras qui contient toutes les fois qu’il a déjà joué ce morceau, mais aussi toutes les positions nécessaires au morceau à venir, et peut-être déjà toutes les autres fois qu’il livrera le morceau, marqué qu’il sera de la façon dont il fut joué les fois précédentes, notes, doigtés, contractions successives des muscles, coordination intuitive et réflexes (tant il fut répété), toutes et tous, comme ramassés en un long serpent cervical, organique, contenu virtuellement en entier dans la connaissance si intime du chemin pour arriver à la dernière note, qu’il faut à l’interprète d’avance visualiser sans avoir pourtant émis le moindre son (…)

LA TERRE DU MILIEU, translations européennes

Pologne, [Middle-earth – Middel-erde – Middellærd – Miðgarðr – Oikouménê], civilisations, cosmopolitisme, eudemonisme, traductions, raison touristique, physio-mythe, techno-mythe

(…) Aussi l’exploration du monde comme réponse à sa propre finitude, mais surtout, comme école de réalisme est-elle d’abord une chose que l’on mène, si dans le commandement de l’action l’on comprend que se doit être ménagée une souplesse liée à l’immersion (géographique, historique, humaine, sauvage, animale, environnementale) et à l’attente des effets rétroactifs, sur l’agent, de ses choix de direction. C’est alors le rang empirique de l’exploration qui lui est restituée : se former autant qu’informer, soit apprendre et se gouverner ; historia et autopsia. (…)

Une arrivée à Trieste, ou Eurôpê sur le billard

Trieste, Italie. Civilisations, rebonds, croisements, irrigations, dispositif marchand, capitalisme, histoire globale, partie de billard.

(…) Oui, car pour qui roule sa bosse en ses vallées émeraudes, la terre est plate comme le velours vert d’une partie américaine, déployée sur un imposant meuble de jeu éclairé d’un bas lampadaire en fusion ! Il s’échappe de son architecture dissimulée les volutes d’une fumée industrieuse et marchande, venant même obscurcir le néon solaire. On y suit avec des mirettes parfois embuées les rebonds sans fin des cultures et des faits, après que fut vaillamment secouée la première queue. Parfois, une bille tombe dans l’obscurité d’une poche, mais peut-être un Jupiter fébrile repêche-t-il alors la sphère et la remet-il au centre subrepticement parée d’une autre couleur et d’un autre chiffre, ou bien c’est un automate au mouvement perpétuel, ou encore un hologramme, et qui sait si le bruit des chocs de civilisations sonne réellement, et aux oreilles de qui ? (…)

Gironde, Landes, l’ensauvagement.

FRANCE, ascese, aventure, cosmos, culture, éthique, nature, perspectivisme amérindien, mort, métaphysique, hommage, grand père

(…) J’adorais glisser au coeur du lieu-dit, très tôt quand le matin enveloppe encore maisons et église de son épaisse brume blanchâtre, quand j’arrivais enfin à à me réchauffer après la morsure des gelées de l’aube et de l’air des premiers kilomètres sur mes mains, mes jambes et mes pieds, que je devinais aux premières lueurs à la fenêtre, au premier ronronnement de moteur, à l’écho fuyant d’un troupeau derrière la haie, aux tintements lents de la cuillère qui raclait le bol, à l’épaisse fumée qui se dégageait des cheminées, qu’il y avait pourtant bien des vivants ici, qui ignoraient en cet instant qu’un être étrange filait en silence entre leurs demeures, tous sens en éveil.

Quand je suis repartie depuis La Rochelle, m’attaquant à la Côte d’Argent à partir de Royan, eh bien c’est le littoral aquitain qui a fini par m’attraper. Voici comment (…)

LE CHANT DU CHEVREUIL

Pologne, chevreuil, hurlement, grâce funèbre, destin, bestiaire, musique

(…)Comment se fait-il que le chevreuil, cette délicate créature évoquant grâces, tressaillements et pudibonderies, émette l’aboiement le plus déchirant qui soit ? Son cri, pareille à une plainte rauque surgie du fond des âges, émeut jusqu’à l’immobile dormeur du val, provoque un frisson glacial, infecte l’innocent sommeil d’une inquiétude sans mesure. C’est un vagissement funèbre qui s’élève de son fin museau entrouvert, lorsque l’inspiration courte, l’oeil écarquillé dans la pénombre du bois, il hurle au danger, craignant la fin proche. Il parait porter de son vivant la connaissance morbide de son destin, gibier déchiqueté par les chiens, criblé de flèches ou de balles, conscient déjà de la perte de ses bois, de sa peau. Sa signature sonore est telle que longtemps, et avec une certaine frayeur quand approchaient de mon abri nocturne les grognements et le remue-ménage d’un animal qui fouit, je le pris pour sangliers que je mettais en fuite en me dressant hors de ma tente, couteau à la main et lampe allumée. (…)

FRANCO-POLONAISE, un savant folklore.

pologne, mazurka, danse, notation, interpretation, folklore, incorporation, idiosyncrasie, métamorphoses, cultures, argerich

(…) La particularité de ces pièces pour piano est aussi de réussir à incorporer à une nouvelle structure (en passe de devenir canonique) une matière folklorique codifiée, dans un style si unique qu’on peut en deviner immédiatement l’auteur à l’écoute. C’est toute l’histoire de la musique dite savante, un domaine du corpus musical mondial que les musicologues divisent en une triade populaire, traditionnelle et savante. Mais n’est-ce pas aussi l’histoire de toute culture vivante ? Ainsi que le montre chaque jour un peu plus le voyage, l’identité culturelle est un jeu d’incorporations et de traductions, un processus d’articulation, dans des récits communs et uniques, d’une somme d’éléments historiques endogènes et exogènes à un territoire et aux peuples qui l’habitent. (…)

OUN CAFFÈ AMERICANO PER FAVORE

Italie, americano, bar, café, caffe, campagne, espresso, italie, ruralité, refaire le monde, newton, bon sens

(…) J’ai fini, pour un temps, par arrêter de harceler les baristas avec mes oun-caffè-americano-per-favore (prononcé de plus avec les relents de mon épopée espagnole). Dans la patrie de l’espresso, c’est tellement péché de consommer l’or noir dilué, que l’américain est servi en deux récipients : une tasse qui contient l’essence sublime, un pot à eau chaude destinée à noyer le qahwah. Et bien brûlante, au cas où cela pourrait dissuader de procéder à profanation. Je sens qu’on retient son souffle dans tout le boudoir quand j’initie l’arrosage fatal, un sourire sadique en coin. En Espagne, la règle était plutôt au caffe con leche, mais l’americano ravissait les patrons, il fallait se montrer un peu patient avec la machine. A Tanger, le café allongé avait la contenance d’un verre de menthe à l’eau, on laissait un temps le marc se déposer au fond du récipient trouble.

Plus je suis allée vers l’Est de la vallée, plus le mystère de l’américano s’est fait épais pour mes sommeliers. Parfois, untel appelait son père au téléphone blanc, demandant, paniqué, par quelle manipulation impie extraire de la flambante Nuova Simonelli l’aqueuse bouillasse dans le dosage orthodoxe. Une autre fois, l’on me demanda directement l’instruction, et devant mon italien bafouillant, l’on me servit, sur le fond de tasse, de l’eau en bouteille, frizzante ! (…)

LA PEAU DE L’OURS EN CAMPAGNES FROIDES

italie, adaptation, anthropos, bivouac, duvet, technique, humanisme, néo-libéralisme, philosophie politique, reproduction matérielle

(…) Là, j’utilise une technique assez au point, qui consiste à s’approprier un des moyens spontanés de reproduction matérielle d’un autre animal, son plumage (à fonction reproductive, ou constitutive de nid chez l’oie), puis à confiner la matière première dans un tissu hautement technique – un bon duvet sera souvent très froid sur sa surface externe, et à s’y glisser comme dans une seconde peau.

C’est pratique, les palmipèdes n’ont pas encore développé de langage de résistance anti-humain, ni de capacités à s’organiser en escadron offensifs pour saboter les vastes hangars d’élevage, ou à s’allier avec leurs camarades bêtes exploitées internationalement. C’est allé bien trop vite pour eux ; comme la quasi totalité des espèces, ils ne disposent pas de nos aptitudes symboliques redoutables pour transmettre et adopter sciences et techniques, de nos outils pour faire circuler les informations à une vitesse plus élevée que le rythme de la reproduction génétique, et ne naissent pas dans un état de dé-spécialisation (néoténie) aussi conséquent que le nôtre, qui leur permettrait une adaptation à pesque tout type de milieu, et leur ouvrirait les portes de l’invention et de l’exploration*. (…)

photons et faux-jetons

Norvège, captation, imago, tourisme, prédateur d'image, moyen de locomotion, paysages, pulsion de mort

(…) Le plus grand prédateur est sans conteste possible ici le chasseur d’images type baroudeur. A l’heure où s’amenuise la caravane des roulottes aménagées emplies de marmailles et de couples de retraités en mal de dépaysement, c’est au tour d’un specimen proliférant en ces lieux désertiques prisés et sur les petits bateaux de liaison, de patrouiller les environs : muni de son télé-objectif (à celui qui exhibera le plus grand), de son attirail électronique de Safari du Grand Nord, et si possible, d’une jeep kaki ou sable, exposant un nombre d’autocollants aux couleurs du monde qui en jette et un toit-tente camouflé façon reportage de guerre, l’alpha mâle, parfois équipé aussi d’une femelle étudiant cartes et guides touristiques, ou d’une bruyante tripotée de partenaires, pullule sans complexe et diffuse fort les phéromones du grand frisson aventurier tout confort. (…)

Pour tout le blé du monde...

Pologne, agriculture, blé, civilisation, culture, sapiens, nature-culture, jardins, visions du monde, croissance infinie, espace fermé, pairi-daeza, paradis

(…) Comme le dit avec humour Yuval Noah Harari dans « Sapiens, une brève histoire de l’humanité », le blé a parfaitement réussi son coup évolutionniste. De l’homme et de la céréale, c’est assurément cette dernière qui a domestiqué le grand singe : qui est celui assigné à la maison (domus), et qui est celle qui a fait répandre son ADN aux quatre coins du globe ?

…C’est chose frappante en ces terres entièrement dédiées à la culture, lorsque la forêt domestiquée n’est pas. Quand on a pris l’habitude de ne plus voir dans un paysage verdoyant une « nature sauvage », mais le fruit de l’obsession humaine pour le rendement et comment elle modèle la moindre surface du globe, on s’y promène bien différemment. (…)

Le pain, c'est Capital

Norvège, pain, production, capitalisme, appauvrissement, logiques finie et infinie, tourisme, architecture, fonction et forme, entropie, "entropologie"

(…) Plus le capitalisme se déploie dans sa logique de croissance infinie (même sous les atours d’une métamorphose verte ou morale – ou d’une humeur socialiste à la norvégienne, juste bonnes à continuer d’attiser l’illusoire désir de l’avoir de ses esclaves en leur donnant une bonne conscience de surface) plus il reconfigure efficacement l’ultime fondement sur lequel il repose, qui n’est autre que la matérialité et la variété des puissances d’agir de ce monde.
Or, force est de constater à travers le voyage, qu’il les conduit vers l’appauvrissement, la perte de leur diversité. Quand tout finit par être même, le vivant disparait. Aussi ferait-on bien de s’appliquer à l’apprentissage d’un nouveau savoir être (et non un croire vouloir avoir) qu’on pourrait qualifier après l’anthropologie, d’entropologie (où entropie = transformation, tour), et dont le principe irait contre cette néantisation biologique, à la façon d’une pâte qui, levant et chauffant, développe, plutôt qu’elle n’amoindrit, tout l’éventail de ses virtualités.
 (…)

ALEXANDROS, un grand grizzli grec

Grèce, destin, personnalité, ours, regrets, partir, amitié, rencontre, une vie

(…) Avec Alexandros, ça avait plutôt fort mal débuté, un 4 avril, à Preveza. Au ton autoritaire de l’homme qui a l’habitude qu’on lui obéisse, m’apostrophant en ordonnant de me joindre à sa table au café, je répondai tout de suite par une attitude franchement désagréable, voire hostile et m’installai de dos à un autre comptoir. Et quand il vint insister, pourtant pas agressif, mais curieux, j’expliquai en mufle que j’appréciais être tranquille, refroidie par la première impression de tyran domestique qu’il m’avait donnée. (…)

Le "Lomur", le capitaine et son équipage

Lomur, bateau cargo, faroe, équipage, multiculturel, transport, marchandises, passager, expérience, salle des machines, russes, philippins, écosse

(…)  C’est le capitaine Vladimir qui m’accueillit au sommet de la tour dans la salle de navigation, après que je l’eus à plusieurs reprises dérangé par téléphone pendant les quelques heures de repos dont il tentait de jouir entre deux convois, et après que j’eus pris le premier officier Nikolay pour son supérieur hiérarchique, dont je ne connaissais alors que la voix bourrue. On hissa tout d’abord mon footbike à bord à l’aide d’une grosse corde, car on ne monte pas dans un cargo comme dans un ferry, nulle porte géante ou pont, on grimpe à une petite échelle déroulée sur un côté, puis l’on m’introduisit à mes quartiers. Le capitaine me fit un bref état des lieux (mer calme, départ estimé en milieu de nuit, etc). Pas d’instruction particulière, à part d’éviter de glisser sur les ponts humides. (…)

ANDRZEJ, « Frappez, et l’on vous ouvrira »

pologne, prêtre, parabole, pomme, repas, tempête, abri, babel

(…)Mon hôte, le temps de ma disparition, paraît s’être animé des meilleures intentions. C’est comme s’il m’ouvrait la porte une seconde fois. Son visage a changé. Il me fait signe d’aller plus avant dans la demeure, dans une sorte de salle à manger : une grande table garnie de fruits, de pâtisseries, de boissons, de couverts. Est-ce un centre pour séminaires ici ? Non, je suis prêtre, j’habite ici, me fait-il comprendre. Tout cela c’est donc pour vous ? Oui. En mon for intérieur, je ne peux m’empêcher de sourire : l’Eglise se porte bien en Pologne ! Depuis ma rencontre avec les fous de vélos d’Onill, je sais que le gouvernement en place est catholique et conservateur. Je songe à l’anti-cléricalisme français**.(…)

Hellènes Hélène(s), logos & mythos

grece, mythos, logos, mythologies, jocaste, laios, antigone, artemis, athena

(…) Dans le parfum étouffant de l’orange et du citronnier, dans la chaleur du petit village, à l’ombre du mur couvert d’une chaux sépulcrale, je me souvins que les femmes du mythos ne sont pas toutes des enlevées soumises ou appropriées, des enterrées vivantes, qu’elles se dressent aussi contre la loi des hommes, contre la polis, pour enterrer les frères, naissent casquées, sauvages sous la lune mais à la puissance civilisatrice, impudiques, guerrières, jumelles, oracle et sages.  (…)

ASKO, une moto et un motto

Norvège, arctique, moto, loi de murphy, débrouillardise, shit happens, motard, relativité, éthique du déplacement

(…)Avant de rencontrer Asko il y a quelque semaines de cela à Alta dans la foulée de Nordkapp, l’ambivalence de mes dispositions pour les motards était à la mesure de leur caractère interlope. Car le chevaucheur de deux-roues motorisé me semble parfois le rejeton illégitime de l’automobiliste ayant bouté en train avec le cycliste. Ayant renoncé à l’habitacle douillet de la voiture, il affronte sans intermédiaire les éléments comme le pratiquant de la pédale, ce qui l’oblige à s’équiper en vue de résister au vent, à la pluie, à la neige, au soleil, avec lesquels il est en contact direct et dont il ressent bien les pouvoirs. Mais, comme l’automobiliste immobile sur son moteur humide de pétrole et spectateur des effets de ceux-là sur la carlingue, il dispose de chevaux propres à le propulser en leur travers, sans grand effort physique, d’un coup d’accélérateur bien placé, d’une tenue de manette bien dosée(…)

Quentin, ou le machinisme libertaire.

france, ferme, éleveur, ovins, exploitation, machine, ruralité, endettement, rentabilité, technique, granulés

(…) Enfin, les granulés font leur entrée. Visiblement, le granulé est l’équivalent du tiramisu chez les ovins. Car il régnait jusque-là une ambiance d’enfer entre les quatre murs de cette garderie géante, cavalcades et bruissements d’épis, bêlements et braillements à qui mieux mieux, et puis soudain, plus rien. Dans la cathédrale charpentée où s’élevait le contrepoint dodécaphonique des bestiaux, on entend à présent résonner le claquement des mâchoires qui se referment à toute allure sur les nutriments encapsulés. Une véritable course est entamée entre les têtes tendues au bout des oesophages, pour engloutir un maximum de granules avant les comparses. (…)

ANNA, « BLANDITIES » : vagabonder

Lettonie, Riga, Anna, littérature française, sibérie, poésie, Kalevala, art nouveau, architecture lettone, maisons

(…) Anna fut professeur de littérature française à l’Université de Riga, puis officia en sa Bibliothèque Nationale. Apercevant mon petit étendard français alors que je quitte la ville sous la canicule, elle se précipite sur moi et entame une conversation incroyable. Elle parle merveilleusement français, avec ce raffinement particulier des personnes qui apprécient tant de parler une langue étrangère à laquelle ils se sont consacrés. Elle a un piquant accent du Morvan, presque rural, tout en parlant d’une histoire familiale de haut vol. Elle dit : « une farouche révolution ».
Son grand-père maternel, pour moitié russe, poète célébré dans les gazettes, qui attend toujours son heure de gloire, a vécu le goulag en Sibérie. Il fut d’abord le premier traducteur zélé de la grande épopée finnoise, le Kalevala, au point que le gouvernement Finlandais lui attribua la plus prestigieuse des récompenses pour un citoyen.
 (…)

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