Une quête éthique, une action publique
Parcours - Philosophie - fins
Parcours
n novembre 2015, à 32 ans, je décide de quitter emploi et appartement pour changer radicalement de vie et explorer le monde, en quête de “la vie bonne”, à travers une itinérance à propulsion humaine. Avec ce dont je dispose, j’achète une trottinette de sport (footbike), une tente, un sac de couchage et un réchaud.
Depuis lors, je parcours les chemins du monde, en autonomie, sans assistance, sans revenus, en vivant simplement, dormant la plupart du temps dans la nature, et en évitant de prendre l’avion (chose ratée entre Indonésie et Australie). L’aventure se perpétue grâce aux bienfaiteurs de tous les pays qui me soutiennent.
Inlassable observatrice des milieux géographiques, humains, historiques et culturels que je traverse, je documente mon exploration empirique par des images, des récits et des réflexions, en même temps que je m’émancipe du modèle dominant de circulation des biens et de l’argent.
Entre autres épreuves, au cours du chemin, j’ai réalisé une boucle entre Gibraltar et Norkapp, l’Atlantique et la Mer Noire (Europe), traversé l’Iran et son Grand Désert de Sel, suivi la route du Pamir en hiver (hauts-plateaux désertiques d’Asie Centrale), roulé le long du désert du Taklamakan (Xinjiang, China) d’ouest en est, puis l’ai traversé au milieu du nord au sud, ai grimpé sur le plateau tibétain pour redescendre vers l’Asie du Sud Est, Laos, Vietnam, Cambodge, Thailande, Malaisie, Indonésie jusqu’à Bali d’où j’ai rejoint Darwin, en Australie. Nouveau continent que j’explore principalement sur ses routes de terres à travers l’arrière-pays… A ce jour (dec. 2019), 4 ans et plus de 56 000km d’itinérance continue : une odyssée humaniste et athlétique, à la force du mollet, pour mener toujours plus loin ma quête éthique d’une vie bonne et d’un monde (un peu) meilleur.
Vers la vie bonne, vers le bien commun.
Une discussion entre les mondes
e roule et je vis de peu, dans une quête de « la vie bonne » qui se soutient d’un empirisme actif. Vagabonde auto-propulsée du 21ème siècle, je me déplace avec ce que je peux porter et pousser pour subsister. Je dors généralement dans ma tente.
Par cette recherche de la félicité dans la vie humble, je pratique un eudemonisme (où l’action juste mène au bonheur) naturellement doublé d’un activisme politique. Engagée dans l’exploration au long cours d’une autre façon de vivre et d’un défi physique, je tente également d’être l’ambassadrice d’une façon de voyager responsable, à contre-courant de l’accélération productiviste nihiliste.
Mon itinérance emprunte une double voie éthique et politique : poursuite individuelle de la « vie bonne », action publique de partage et de sensibilisation. Où vivre sur la route devient une forme d’activisme vagabond, humaniste et terrien, qui se pose en antidote éthique à une certaine démesure de civilisation (ère du flux, de la vitesse, de la finance, du capital, des experts, du spectacle, des savoirs abstraits, de la domination, de l’uniformisation, etc).
Je m’inscris dans une longue tradition de pensée considérant que le bonheur individuel n’est possible qu’au sein d’une communauté d’êtres égaux en droits et en devoirs, oeuvrant à s’émanciper de façon coopérative (mais aux résultats variés) de toute forme d’asservissement, d’exploitation et de nivellement des mondes (du vivant, des choses, des objet, des concepts).
Dans la veine de cette philosophie politique, l’intérêt de l’individu ne s’oppose pas à l’intérêt général (du vivant, des choses, des objets, des concepts), et vice versa, altruisme et égoïsme ne font qu’un, échappant à toute antinomie réductrice et hiérarchisation : à travers cette réunion en forme de boucle, la félicité personnelle est dépendante du souci de l’autre, et la prospérité des uns est conditionnée par l’égalité pour tous d’accès aux conditions d’une vie bonne.
Comme toute utopie politique, elle pose des jalons pour une pratique expérimentale courant tout au long d’une vie, vers une fin en puissance (un but) que, cependant, l’on sait et l’on souhaite ne jamais voir s’actualiser entièrement comme telle, car elle serait aussitôt synonyme d’un totalitarisme, et car l’on ne cherche pas un nouveau messianisme. Un processus de tous les instants, dans un régime d’historicité et de spatialité complexe, où l’agent compose avec sa finitude, accueillant le prosaïque comme le poétique.
Par tous ces aspects, cette aventure est un dialogue solidaire entre le local et le global. L’individuel et le commun. La recherche personnelle du bonheur et la possibilité pour tous d’agir librement en direction de la vie bonne.
« Lutte pour permettre à tous de vivre de cette vie riche et débordante, et sois sûr que tu retrouveras dans cette lutte des joies si grandes que tu n’en trouverais pas de pareilles dans aucune autre activité. C’est tout ce que peut te dire la science de la morale. À toi de choisir. »
Pierre Kropotkine
Un nomadisme à la force du mollet
Se charger peu et bien
Une autre clé de voûte de cette démarche est l’expérience proprement menée du voyage. A l’envers du rythme du flux tendu, l’exploration du monde dans un temps humain, rythmé par une propulsion humaine. Redécouvrir ou découvrir qu’on a besoin de peu pour voir beaucoup. Voyager en mode ultra-léger (M.U.L), décompter les grammes pour compter les kilomètres ! User des sciences et des techniques avec conscience, apprendre et partager un récit. Développer tout au long du parcours une éthique et les sensations de la simplicité : deux roues, un cadre, un corps, une force motrice, des efforts, des rencontres, des surprises, un abri, un feu, un ciel, un lever et un coucher de soleil.
Homo technicus
Pour quelques réflexions sur le rapport à l’outil et à la technique, les enjeux relatifs au nomadisme autonome des années 2000, un aperçu des choix de matériel et de configuration, n’hésitez pas à visiter la page matériel, ou à lire cet article sur mon dernier changement de machine.
“Ces voyages ne seront pas dictés par la mécanique inconsciente de la surmobilité. Ils susciteront des efforts de conscience, une vigilance nécessaire à l’éveil, ils provoqueront des chocs (…) Il sera alors possible de faire tout simplement attention au monde déployé autour de ce point d’accroche qu’est le corps.”
Rodolphe Christin, « L’usure du monde », 2014
Conclusion ouverte
l y a quantité de littérature sur l’éthique, mais celle-là une fois goûtée, à celle-ci de se vivre pleinement comme action individuelle, rationnelle et politique, pour offrir ses leçons empiriques. La réflexion et l’agir fleurissent dans le particulier d’une chair, de ses sensations, de ses propriétés et de ses aptitudes ; ils s’enracinent dans la personnalité d’un corps, mystérieux abri d’univers abstraits, tout à la fois réels, symboliques et imaginaires ; ils donnent alors des fruits synthétiques, en tâchant d’éviter les opinions surplombantes, bien que celles-ci servent parfois l’humeur pamphlétaire…
L’éthique n’est pas une science exacte, elle est une pratique et un échange, avec l’autre, humain, animal, chose, environnement. A travers ce site, je partage les conclusions qui me sont propres, issues d’une expérience menée « grandeur nature et sur moi-même », dans la perspective d’alimenter, à mon échelle, les chantiers de discussions et de constructions appelés par l’époque. Parmi eux, questionner les impératifs de croissance et de consommation, le rapport à la technique et au travail, explorer des modèles socio-économiques alternatifs, inventer d’autres façons de vivre, respecter et préserver la complexité dans toutes les formes de vie et d’environnement.