L'équipement

Machine & configuration : des choix évolutifs et singuliers

A savoir :

1/ Cet article est mis en ligne suite à mon changement de modèle de footbike, qui suscite des interrogations légitimes, et des incompréhensions.

2/le changement de marque n’est pas dû à un problème avec Kickbike, mais au fait que ce fabricant ne fait pas de modèle en 20×20, modèle auquel je souhaitais passer.

3/ j’avais fait mon choix et pris conscience des raisons qui m’ont poussée à changer de configuration avant d’être en contact avec d’autres fabricants. C’est donc moi qui ai cherché à entrer en contact avec des équipementiers pour changer de footbike ; je n’ai pas changé de footbike parce qu’on m’aurait contactée et proposé de changer.

4/ Kickbike et Yedoo ont (ou ont eu) la gentillesse de me soutenir gracieusement et ne m’ont rien demandé contractuellement en échange, sinon dans une entente tacite d’être honnête sur mes retours d’expérience et de pouvoir partager mon aventure sur leurs machines en utilisant mes photos et mes récits. Merci !

 

En janvier 2018, j’ai décidé de passer d’un footbike avec des roues de 26’/20’ à un modèle en 20’/20’. Quel est le contexte et pourquoi ce choix ?
A CHACUN SON VOYAGE ET SES CHOIX TECHNIQUES

Tout d’abord, je crois qu’il est important de dire qu’il n’y a pas de configuration universelle parfaite. Il y a autant de configurations et d’options pertinentes qu’il y a d’usager.e.s et d’environnements. Si l’on prend en considération la façon dont chacun.e aime voyager (de l’ultra- minimaliste au très confortable : certain.e.s aiment ne rien porter, d’autres ne sont pas contre porter beaucoup, avec une organisation très différente les un.e.s des autres), le type de routes que l’on sera amené.e à parcourir, les conditions climatiques, plus le fait que tous ces paramètres évoluent constamment pour une même personne, il devient vite évident qu’en matière de configuration il s’agit de choix on ne peut plus individuels. L’expérience seule dira in fine à l’itinérant.e s’il lui semble utile de faire des ajustements, des changements, et de quelles sortes. J’ai parlé de cette approche singulariste du matériel et du setup sur la page « matériel » .

ITINÉRANCE AU LONG COURS, MINIMALISME CONTRE-INTUITIF

Au cours d’un voyage sans limite temporelle et avec des distances aussi importantes que celui dans lequel je suis engagée, il ne s’agit plus d’aller d’un point A à un point B aussi vite que possible, il s’agit d’une vie sur la route (doublée dans mon cas d’une quête des moyens de la vie bonne). Il y a donc de constant.e.s mais pas nécessairement rapides évolutions et désirs de s’adapter à des environnements qui changent, ainsi qu’une continuelle réactivité aux leçons qu’offrent l’itinérance, enrichies également de l’humeur du moment.

Durant maintenant deux années consécutives et 35 000km, j’ai roulé sur du 27″/18″ (Kickbike Sport G4 – tour d’Europe), puis du 26″/20″ (Kickbike Cruise Max – tour du Monde). De l’asphalte parfaite de Suisse et d’Autriche aux routes bosselées de République Tchèque, à des sentiers scandinaves, à des chemins rocailleux et au macadam en deliquescence d’Asie Centrale jusqu’aux récentes voies enneigées et glacées du Pamir… La façon dont je charge le matériel, sa répartition sur la machine, a aussi changé à mi-parcours, coïncidant avec le changement de modèle et la fin du tour d’Europe. Je m’étais alors dirigé vers un mode de chargement façon « bikepacking » (le matériel est attaché à différents endroits de la structure primaire du vélo, ici footbike, plutôt que rassemblé dans de larges sacoches latérales), et une exploration plus poussée d’une philosophie ultra-légère et/ou minimaliste, dans un contexte particulier : celui d’une itinérance sans assistance, équipée pour 4 saisons, transportant abri et nourriture pour plusieurs jours, des litres d’eau, en relative autonomie énergétique – panneau solaire, batterie externe, et avec les moyens de documentation et communication que sont mon laptop et mon appareil photo.

Pour ma part, le souci de ce que signifie « voyager en autonomie et sans assistance dans le monde moderne » a toujours existé : que suis-je capable de porter tout en continuant à avancer sans envisager de fin précise, quels sont mes besoins réels, de quoi puis-je me séparer, quels types d’outils répondent réellement bien ou mieux à cette quête de la vie bonne, quelle est la nature de la relation humaine à l’outil, etc.

La subtilité est que le minimalisme est parfois contre-intuitif et protéiforme. C’est en tout cas ma conclusion ces temps-ci. J’en suis par exemple venue à considérer que l’action de remplacer un matelas gonflable synthétique ultra-léger qui se trouve sensiblement sujet à perforation et délamination par un matelas de laine de feutre fabriquée manuellement, ou un long manteau en laine de mouton, bien que ces derniers pèsent plus lourd, est une façon d’aller vers plus de minimalisme. Une raison évidente en est ce qu’on appelle aujourd’hui l’empreinte carbone (de la pré-production au déchet dont la dégradation peut être infiniment lente) et l’empreinte d’exploitation, cela est assez facile à voir, considérez les moyens de production d’un matelas synthétique et la façon dont on l’acquiert au départ : cela pèse beaucoup en termes d’impact énergétique, en terme d’exploitation d’êtres  humain et de destruction de l’éco-système et du vivant. Mais il n’y a pas que cela, tout le monde ne se sent pas forcément concerné par sa propre implication dans le système de production de masse, bien que, alors que certains fabricants tentent de faire des efforts sur une hypothétique façon éthique de produire industriellement, rare soit la production qui, d’une façon ou d’une autre, ne délocalise pas une partie du processus et ne réquisitionne pas de matières premières terrestres d’une façon destructive.

MODERNITÉS ET TRADITIONS, FABRIQUER OU PRODUIRE

On peut aussi approcher la chose par l’angle dialectique suivant : fabrication et savoir-faire humains/animaux versus techniques industrielles automatisées. N’est-il pas intéressant de considérer l’évolution dans la façon dont les gens, les communautés, ont trouvé des techniques de survie et fabriqué des outils différents à travers le temps, dans les mêmes zones géographiques, face à des conditions terrestres relativement similaires, et pourquoi le récit moderne principal est-il que les gens qui pratiquent des activités en plein air aujourd’hui devraient acquérir un matériel high- tech ultra-léger et ultra-couteux, soit disant le meilleur ? Comment en est-on arrivé là, qu’est-ce qui sous-tend cette fable ? Pourquoi ne pas gratter un peu la surface, explorer comment chacun peut trouver inspiration dans les traditions locales, quand elles survivent encore ? Et même, pourquoi ne pas commencer à se forger ses propres réponses techniques, en relation à une expérience ici encore singulière de son environnement, à un moment et un lieu donnés ? Il y a un minimalisme en cela, me semble-t-il, car en agissant dans cette perspective, on se décharge littéralement du poids du système de production actuel et de son récit coextensif du Progrès : l’on peut ainsi trouver une sorte de poids juste dans l’équipement qu’on choisit alors, ce qui finit par se traduire par un allégement à tous les niveaux de vie. Dans cette optique, le minimalisme n’est pas une course à la légèreté obtenue grâce à la haute-technologie, c’est avant tout un honnête examen de ce dont un individu a réellement besoin pour vivre.

Dans la réalité d’une expérience de vie, il s’agit bien sûr d’un continuum de gris, plutôt que d’un ensemble de règles noires et blanches. Même lorsqu’on cherche la juste technique, la mesure dans le matériel en équilibre avec un éco-système, il est devenu assez difficile d’éviter toute implication dans la civilisation globale intégrée et ses productions. Personnellement, je suis de plus en plus dans cette exploration de ce qu’il est possible de faire avec les ressources traditionnelles et locales (ce qui signifie généralement simplement pré-industrielles, à portée de main et du savoir-faire local), mais c’est un long processus épineux ; j’utilise toujours un mélange de choses industrielles et non industrielles, jusqu’à la trottinette même sur laquelle je roule… Cela fait partie de la quête de la vie bonne, c’est un procès et une réflexion qui doivent être réitéré.e.s quotidiennement, au cours desquel.e.s un ajustement qui paraît infime peut en réalité être porteur d’un immense impact en matière de sens et sur une vie.

NOUVELLE CONFIGURATION EN ASIE CENTRALE

A quoi ressemble une journée de route : je peux lever le camp en pleine nature et devoir rejoindre une piste à travers un terrain accidenté, kicker sur une route impeccablement asphaltée pendant 20km puis me retrouver soudain sur un chemin de gravillons, devoir grimper ou descendre des côtes de caillasses, ou des routes abîmées, faire mon chemin à travers la neige, le verglas, devoir marcher, pousser ou soulever le tout pour atteindre un bivouac ou passer un obstacle, sous la pluie, la neige, le soleil, le vent, parfois dans des chaleurs ou des froids extrêmes, contre ou avec les vents. Je peux rouler une journée sur un bitume parfait, ou une journée sans. On peut répartir tout cela sur une année, c’est la même chose. Je ne peux donc avoir une seule machine optimisée pour tous ces types de situations, la réponse est de décider des priorités et de trouver les meilleurs compromis pour ma propre pratique.
Enfin, dernièrement j’ai été confrontée à des terrains et des conditions très difficiles (froids extrêmes, cailloux, routes enneigées et glace, altitude et grimpe exigeante, asphalte détruite…), qui m’ont vite fait sentir à quel point le footbike (mon premier outil sur la route) et le chargement pouvaient devenir un poids mort encombrant et totalement inadapté. Après des journées et des nuits vraiment rudes dans les Pamirs, j’ai senti que c’était le moment de changer quelque chose.

Pour résumer l’orientation de ce changement, voici 3 axes essentiels de reconsidération qui ont été les miens, sur lequels j’avais envie d’évoluer et de m’adapter :

#1 Minimalisme/poids
#2 Ergonomie/dynamique
#3 Réponse de la machine aux différents environnements

Et pour développer un peu :

#1 Minimalisme/poids :

  • la différence entre le Cruise Max (9,9kg) et le nouveau Dragstr (7,4kg) et de presque 3 kg.
  • la perte de place sur l’avant, notamment la fourche, et le cadre globalement plus petit de la machine, est une incitation à pousser plus loin le minimalisme, à me forcer à ne pas accumuler, ou me rappeler que ce n’est pas ce que je souhaite.
  • de nouvelles spécifications, c’est un appel à la créativité et à examiner ce dont on a réellement besoin, à nouveau

#2/ Ergonomie/dynamique :

  • deux roues de même taille donneront une répartition énergétique rotationelle plus équilibrée
  •  la taille plus petite de la machine est plus proche de ma constitution physique (1m60), c’est un pas de plus vers une meilleure symbiose entre la femme et la machine (bien qu’on puisse finir avec le temps par s’adapter à pratiquement n’importe quel outil)
  • si je trouve un bon setup pour la répartition du matériel, le point de gravité devrait être légèrement plus bas

#3/ Réponse de la machine aux différents environnements :

  • je souhaitais aller vers une configuration plus tout terrain, sans aller jusqu’à une fourche suspendue : j’ai changé mon type de pneus pour un profil plus cross/mountain. Avec Yedoo, nous sommes arrivés à la conclusion que les Crazy Bob (de chez Schwalbe) pouvaient être une bonne solution : ils peuvent notamment supporter juqu’à 7 bar de pression en plus d’un profil plus large, etc. Ce me permettra de jouer sur un grand éventail de pression pour faire face à différents terrains.
  • il y a une perte de stabilité dans le passage d’une roue avant de 26 à une roue de 20, mais le poids du chargement et le changement de pneus offriront une légère contrepartie à cela en stabilisant le tout
  • la machine, plus légère et moins encombrante, est plus facile à manipuler et conduire (et si besoin soulever, pousser, transporter) dans des environnements exigeants

Voilà comment et pourquoi est arrivé l’idée d’un changement inattendu, contre-intuitif pour certains : passer à un footbike en 20″x20″. Il fallait bien lui donner une chance ! Comme quelqu’un l’a commenté sur la publication qui révélait le nouveau modèle, je pense aussi qu’aujourd’hui, en regard des besoins et de mon expérience actuel.le.s., c’est pour moi le meilleur compromis entre vitesse et encombrement, en mode voyage autonome. Devinez qui a aimé ce commentaire ? Hannu Vierriko ! (Patron de Kickbike et figure légendaire du milieu du footbike, que j’ai rencontré à Helsinki et qui m’a offert le Cruise Max sur lequel je suis arrivée jusqu’en Asie Centrale).

LA RÈGLE, C’EST QUE TOUT DÉPEND DE L’EXPÉRIENCE PERSONELLE ET DES LEÇONS DE SA PROPRE AVENTURE (N’EN DÉPLAISE AUX PATERNALISTES CONDESCENDANTS)

Pour finir, le matériel, la machine, les outils, l’aventure, les perspectives et les pensées sont évolutifs. Le terrain et l’expérience ne mentent pas, mais ne sont pas toujours les mêmes. Peut-être qu’à un certain moment, je souhaiterai faire un nouveau changement conséquent de configuration, qui n’aura rien à voir avec la qualité intrinsèque de la machine, ni avec un manque précédent de jugement ou d’expertise, mais tout à voir avec l’expérience et l’environnement du moment. Le Kickbike G4 et le Cruise Max étaient de vraies bêtes qui ont enduré 35 000km en 2 ans sans faillir (Kickbike ne produit tout simplement pas de modèle en 20×20), et aurait pu continuer longtemps la route.

Je dirais que concernant l’équipement et la configuration, il n’y a pas de règle, sinon celle des envies évolutives et des leçons accumulées avant tout grâce à une expérience personnelle, donc singulière, du terrain et de l’aventure. Personne ne devrait prêter attention aux esprits condescendants (dans mon cas souvent paternalistes et sexistes) qui ont besoin d’expliquer aux autres ce qu’ils doivent ou ne doivent pas faire, ce qui est mieux pour eux, ce qui va rater, ce qu’ils vont devoir affronter et ce qu’ils sont en train de vivre. Au contraire, ces personnes devraient écouter ce que les autres ont à dire sur leurs propres choix et comment ils expérimentent à leur façon, ce qu’ils retirent de cela, pour devenir conscientes qu’il existe une multitude de manières de s’équiper et d’en apprendre quelque chose. Travailler leur empathie : ce qui leur semble idéal pour eux-même ne l’est pas nécessairement pour d’autres, aussi difficile que ce leur soit à intégrer. Alors seulement peut débuter un authentique dialogue sur la technique, et c’est cette attitude qui est enrichissante et respectueuse humainement.

Evolution des machines et du chargement, pendant 2 ans, 35 000km.
Kickbike Sport G4, setup « sacoches et porte-bagage »,  Arctique norvégien, Cap Nord – Aout 2016
Kickbike Cruise max et setup « bikepacking », désert iranien en plein été – 2017
Kickbike Cruise max et setup « bikepacking », haut-plateau désert du Pamir, en plein hiver – 2017
Yedoo Dragstr, et setup « bikepacking », Osh, Kirghizistan, à la veille de l’entrée en Chine et d’une traversée autonome du Taklamakan – 2018

« That’s all, folks » 🙂