Grèce, avril 2016

Alexandros, un grand grizzli grec

A

vec Alexandros, ça avait plutôt fort mal débuté, un 4 avril, à Preveza.

Au ton autoritaire de l’homme qui a l’habitude qu’on lui obéisse, m’apostrophant en ordonnant de me joindre à sa table au café, je répondai tout de suite par une attitude franchement désagréable, voire hostile et m’installai de dos à un autre comptoir. Et quand il vint insister, pourtant pas agressif, mais curieux, j’expliquai en mufle que j’appréciais être tranquille, refroidie par la première impression de tyran domestique qu’il m’avait donnée.
Il me mit en garde contre le tunnel qui m’attendait à une ou deux bornes de là, interdit aux deux roues. Et me donna une astuce incertaine, tout en me lançant sur un air provocant et rieur, « alors, à tout à l’heure, à l’entrée… » !

J’étais bien décidée à passer ce tunnel sans son intervention.
Aussi me postai-je à son embouchure, bien devant la camera de sécurité, soit qu’on viendrait officiellement me déloger, soit que j’attraperais un pick-up au passage. Quel drôle d’effet que l’oeil unique et froid du dispositif de surveillance qui soudainement se braque sur vous et ne bouge plus.
10 minute plus tard apparait une voiture de service, avec remorque. Je comprends tout de suite qu’elle est pour moi, hourra ! Une fois traversée le bras de mer en sous mariniers, à peine quelques centaines de mètres roulés, ne voilà-t-il pas qu’Alexandros en son Nissan rouge me hèle, alors, tu as réussi !
Eh oui ! Bon, tu vois, dans 1 km, il y a une cafeteria, je te paie le café.
Quelque chose a changé, peut-être un simple passage sous l’eau a-t-il dissout ce que nous avions chacun à prouver, cette fois j’accepte, avec plaisir.

La rencontre va avoir lieu, nous nous serrons longuement et franchement la main pour enfin commencer.
Alexandros est un grizzli tendre, bon vivant, à la présence massive, rustre et délicat, généreux, on dirait un personnage sorti d’un roman d’Hemingway.
Il gère son exploitation de tomates sous serres, juste ici, avec des employés albanais depuis 20 ans, prend soin de ses parents comme beaucoup le font en Grèce dit-il, et rêve d’une autre vie. Il me propose sa cabane si je veux goûter à la vie grecque, quelques jours, comme je souhaite. Il pilote son petit avion, et navigue sur son bateau. Il est séducteur, paternel, intrigué, admiratif, agité, calme, dissimulateur, hédoniste, travailleur, blagueur. Quand il séduit une femme au bar, c’est en ayant rapporté un escargot trouvé à l’entrée, qu’il présente comme son animal de compagnie, se moquant alors du recul de la dame. Le temps passe vite, s’il partait ce serait en bateau, là où les courants le mèneraient.
Je repars, n’éternisant pas les adieux, un signe au loin de la main, je ne l’aperçois plus qu’à peine à travers le carreau, sur la table du coin où il fume, en terrain conquis. « Si tu changes d’avis tu sais où me trouver ».